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La publication SHS au regard de la publication en sciences dures : spécificité, standardisation et promesses d’avenir

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Voici quelques réflexions à l’issue de la journée La publication scientifique pendant et après la thèse : Regards croisés entre SHS et STM qui s’est tenue le 19 octobre à l’URFIST de Lyon, destinés surtout aux doctorants et jeunes docteurs, dont un compte rendu devrait être très bientôt disponible. On jouait à guichet fermé même si en fait de quelques places sont restées vides : un gros tiers de SHS, et deux petits tiers répartis équitablement entre sciences médicales et sciences dures.

Project NECOBELAC – Scientific writing (CC-BY-NC-SA)

La mise en regard des pratiques en sciences dures (physiques, chimie, biologie, écologie, informatique) et en SHS (sciences de l’éducation, infocom, géographie, littérature) a permis de mesurer à la fois les grandes différences de contextes et de pratiques (point de départ de ma communication) mais aussi de faire émerger des points communs. En sciences, point de salut hors du modèle de présentation canonique : Introduction du problème, Méthodes et matériels, résultats, Discussions (soit IMRAD, cf. image ci-dessus). Rien de tel pour beaucoup de disciplines des SHS, même si des évolutions importantes sont notables, comme l’a observé à propos de la sociologie américaine Etienne Ollion). En réalité, les chercheurs en SHS doivent toutefois quand même bien valider, d’une manière ou d’une autre, ces différentes séquences mais selon des formes relativement souples. En effet, il faut faire de la place pour d’autres exigences : la fréquente nécessité d’une contextualisation du travail de recherche, qui peut exiger de nombreuses lectures difficiles à relier à un questionnement théorique extérieur, voire même des recherches propres qui peuvent devenir parfois presqu’un but en soi, lorsque les connaissances élémentaires sont manquantes. D’autre part, l’existence de traditions disciplinaires nationales rend parfois les questionnements “locaux” abscons pour les lecteurs extérieurs, qui ignorent de plus les conventions et les implicites des communautés nationales respectives, et ne parviennent pas à replacer l’ensemble dans une discussion scientifique partagée. La recherche en SHS n’échappe pas toujours à une dérive idiosyncrasique.

La négociation des frontières entre la science et la société est un autre point que les témoignages de scientifiques impliqués dans le travail éditorial et d’évaluation de manuscrits scientifiques ont éclairé d’une manière originale et pas si divergente qu’on aurait pu l’attendre de la part des sciences dures et des SHS (soit les “sciences inhumaines” et les “sciences inexactes”, comme l’a redit une intervenante). En biologie, les questions d’éthiques scientifiques sont centrales dans l’évaluation d’un travail soumis à publication: respect des règles déontologiques, analyse des conflits d’intérêt potentiels avec des financeurs, etc. En SHS, la proximité des questions traités par certains chercheurs avec des questions du débat public peut induire un brouillage de la frontière entre écrit scientifique et contribution au débat d’idées. Il n’est évidemment pas illégitime pour un chercheur de prendre position dans le débat public mais il convient que ses travaux scientifiques apportent des garanties d’objectivité et des références aux cadres d’analyses théoriques sans lesquelles la recevabilité de son travail scientifique serait compromise. L’apprentissage du métier de chercheur implique une prise de conscience sur ces questions. Ce débat me confirme dans mes prises de position à l’égard de certains collègues les interpellant sur une plus grande explicitation des éléments de cadrage de leur travail (comme à propos du conflit en Syrie).

Le numérique transforme profondément les pratiques de publication. C’est sur ce point que j’ai été invité à proposer une réflexion basée sur ma propre pratique de publication (voir ma présentation ci-dessous). J’ai insisté sur la place du livre dans les publications des chercheurs SHS aujourd’hui : elle représente environ la moitié des travaux, lorsqu’on additionne les divers types de objets éditoriaux concernés. Ce qui constitue aux yeux des gestionnaires chargés de l’évaluation scientifique un problème d’identification et de quantification implique surtout, de mon point de vue, une diversité de formats d’écriture dotés de leurs règles de cohérence propre, des contenus spécifiques normés et validés par des disciplines, et donc des formes de travail largement irréductibles les unes aux autres, et pour autant non moins légitimes.

Le numérique dans ce contexte peut représenter une certaine menace, s’il signifie alignement sur le modèle de l’article scientifique, que ce soit chez un grand éditeur anglophone ou même parmi les nouvelles revues qui investissent l’Eldorado de la publication scientifique numérique, pour reprendre la formule de Pierre Mounier. Inversement, il peut représenter une promesse d’innovation, dont les humanités numériques fournissent de spectaculaires illustrations (voir les non-actes de non-conférence, autrement dénommé le Read Write Book 2! qui viennent de paraître). Dans cette journée, le projet des Dossiers de Bouvard et Pécuchet en a été une passionnante démonstration, qui propose des reconstitutions conjecturales du second volume, inachevé par Flaubert, de son roman Bouvard et Pécuchet, mais dont la mise à disposition du public et des chercheurs fournit, plus largement, un corpus permettant d’accéder à “une configuration critique des savoirs au XIXe siècle, originale et révélatrice” (voir aussi le carnet de recherche du projet).

Pour surmonter cette contradiction, et libérer ce potentiel créatif, deux conditions sont requises : la première est une acculturation des chercheurs, jeunes et moins jeunes, aux enjeux techniques et scientifiques de cette transformation du champ éditorial académique. La deuxième, que les interventions et débats de l’après-midi ont clairement fait ressortir, est de faire une place à ces pratiques dans l’évaluation des chercheurs et de la recherche.

Voici le support de ma présentation lors de la journée.


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