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Les nouveaux modèles économiques de l’édition électronique et les droits d’auteur

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J’apprends en dernière minute l’organisation d’une journée d’études sur l’édition électrique à l’ENS de Lyon, où Pierre Mounier viendra présenter la démarche qui a amené le CLEO à proposer un nouveau “modèle d’affaire” de l’édition électronique, l’OpenEdition Freemium, qui va chercher à combiner accès libre aux textes scientifiques en SHS et services à l’accès et à la lecture, à destination des bibliothèques universitaires (et autres?) et de leurs lecteurs. Initiative originale, dont il sera intéressant de voir quel intérêt elle suscite de la part des bibliothécaires et si ces derniers déplacent leurs préoccupations de l’acquisition à l’accès (se reconnaissent-ils dans ce changement d’enjeu qui est à la base du diagnostic du CLEO et de la proposition d’OpenEdition Freemium?).

En tout état de cause, cette évolution me conduit à m’interroger sur un point particulier : dans ce nouveau modèle, quelle place sera attribuée à l’auteur et en particulier à l’auteur de monographies scientifiques? La question surgit dans un contexte où l’édition universitaire (qu’elle soit le fait d’éditeurs privés ou publics) a progressivement et majoritairement adopté un modèle économique qui, au nom de la diffusion, a sinon supprimé du moins limité la rémunération des auteurs (idée d’un seuil minimal de vente) tout en multipliant les exigences à leur égard (soit : apports de subventions, achat d’un minimum d’exemplaires, fourniture d’un fichier prêt à imprimer, absence de services à l’édition, conditions variables d’un éditeur et d’un ouvrage à l’autre). En caricaturant (j’en suis conscient), on peut dire que c’est le modèle L’Harmattan (ici et ).

Disons d’emblée que je comprends bien que là n’est pas le problème du CLEO, qui discute avec des bibliothèques d’une côté, et des éditeurs de contenu électronique de l’autre. La question est plutôt posée à ces derniers, en fait. D’autre part, la question dépasse la présente initiative du CLEO et se pose aussi pour les projets d’impression à la demande, les ventes de fichiers numériques, etc. Parmi le questions préalables que soulève aussi mon billet, on pourrait s’interroger sur l’arbitraire de la séparation entre monographies et textes courts, séparation qui reproduit directement une particularité de l’édition papier (entre auteurs de monographie et auteurs dans des revues ou des ouvrages collectifs, pour lesquels la question d’une rémunération avaient depuis longtemps été résolue par la cession gratuite). Doit-on en fait généraliser cette dernière solution, c’est à dire affirmer que les producteurs de savoir renoncent à l’idée d’une rémunération (de toute façon fort limitée) lorsqu’ils rentrent dans une logique d’édition scientifique? Universitaires, donc fonctionnaires et déjà payés pour publier? Ne serait-ce pas aller un peu vite en oubliant qu’une partie des auteurs ne sont justement pas (encore?) titulaires?

Pourtant, divers éditeurs universitaires, comme les Presses universitaires de Rennes, semblent s’engager, à titre expérimental, dans l’idée d’un modèle de rémunération des auteurs au-delà d’un seuil de vente minimum (vente d’exemplaires papier et numérique à l’unité). Quid lorsqu’on s’engage dans un modèle qui se rapproche de celui de l’abonnement? On notera d’ailleurs que si les portails Cairn ou Springerlink proposent désormais des accès à des livres électroniques, c’est uniquement à travers des ventes à l’unité et non en abonnement, peut être bien parce que les contrats avec les auteurs de livres ne se prêtent pas à ce nouveau modèle.

Il faut replacer ce questionnement dans les débats qui agitent l’ensemble de l’édition face à l’émergence de l’édition numérique. D’un côté, en France, le Syndicat national de l’édition, au nom de l’unité du produit livre, promeut une vision très conservatrice de la rémunération des auteurs pour la vente de livres numériques. Des auteurs s’en alarment, ainsi que d’autres acteurs éditoriaux. De l’autre côté, quelques initiatives spectaculaires comme celle de Marc-Edouard Nabe ou de Daniel Schneidermann illustrent le court-circuitage de l’édition traditionnelle et de sa lourde et onéreuse chaîne de distribution (fort rémunératrice pour les actionnaires des maisons d’édition qui possèdent aussi ces circuits de la diffusion du livre). Enfin, des initiatives comme Amazon Singles semblent constituer la logique ultime de cette désintermédiation et peuvent paraître offrir de nouvelles perspectives de rémunération pour des auteurs numériques – et pourquoi pas des scientifiques?

Face à ces évolutions, je me demande donc si, en tant qu’auteurs de livres voire aussi d’articles, nous devons nous résigner à abandonner toute prétention à une rémunération indexée sur la diffusion payante de nos travaux. Devons nous céder (gratuitement donc?) l’exploitation de nos droits d’auteur pour une durée quasi-illimitée ou, au contraire, seulement pour des durées courtes (par exemple trois, cinq ans?) puis retrouver la possibilité d’exploiter ces droits sous d’autres supports, tels qu’Amazon? Certes, dans la grande majorité des cas, on ne parle ici que d’un potentiel commercial très limité mais le web et le monde numérique nous montre qu’il est parfaitement possible de concilier accès libre et diverses formes de rémunérations : pourquoi les auteurs de SHS devraient ils renoncer à cette possibilité? La prudence face à des évolutions des pratiques qui sont à l’heure actuelle indiscernables ne devrait-elle pas justement nous conduire à des cessions de droit pour des durées limitées?

Certains ne manqueront pas de trouver cette tribune ridicule voire choquante, et exempte du désintéressement qui sied à un scientifique payé par l’Etat, surtout vu l’étroitesse des recettes qu’on peut envisager. Il me semble pourtant que la question posée va au delà de cela. Nous sommes dans un système où l’investissement de l’auteur ne s’arrête pas à l’instant où il a écrit un point final de son texte mais se poursuit par un travail de propulsion (comme le dit Thierry Crouzet) rendu indispensable par les nouvelles exigences de l’économie de l’attention (Voir M. Dacos : Comment mieux faire connaître mes recherches). L’idée d’une rémunération des auteurs, fût-elle économiquement symbolique, est-elle absurde dans ce nouveau contexte?


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