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Justice Spatiale – Une nouvelle revue de géographie en ligne représentative des mutations dans la discipline

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Justice Spatiale / Spatial Justice est une revue de géographie entièrement électronique, née il y a environ deux ans. Elle fait partie d’un ensemble de nouvelles revues électroniques dans cette discipline qui témoignent de plusieurs mutations.

En premier lieu, avec Carnets de géographes ou L’Espace Politique, on peut observer une transformation des objets et des méthodes de recherche qui illustre un compagnonnage croissance des géographies avec l’anthropologie. La plupart de ces revues sont d’ailleurs des revues thématiques, quoique clairement positionnées en géographie “humaine”. En ce sens, elles se distinguent des revues généralistes qui sont majoritaires dans le champs, qu’il s’agisse des revues “nationales” comme l’Espace géographique ou les Annales de géographie, plus récemment Cybergéo, ou des revues bien mal nommées “régionales” qui toutes ont accompli leur mue vers une géographie décloisonnée, tout en gardant quelques spécificités (à suivre, le prochain numéro de Géocarrefour à ce sujet).

En second lieu, ces revues de géographie et JSSP en premier lieu témoignent aussi d’une remarquable ouverture internationale non seulement dans les terrains de recherche mais également dans les préoccupations théoriques. Le titre de la revue est d’ailleurs une référence directe à une branche de la géographie critique ou radicale qui se développe dans différents pays, comme les Etats-Unis ou l’Afrique du Sud. Le comité de rédaction et le conseil scientifique reflètent dans leur composition ce projet théorique transnational. Toutefois, à l’exception du premier numéro, les contributions sont essentiellement le fait de francophones, mais dont les références sont très largement mixtes (ce qui change de ce qui s’écrit ailleurs dans la géographie française en tout cas). Il faut noter l’implication première des géographes nanterrois, notamment Philippe Gervais-Lambony et ses proches et ses étudiants, dans ces initiatives (JSSP et Carnets de Géographes) : on peut aussi faire des lectures géographiques de telles transformations.

J’en profite pour signaler le dernier numéro paru, sous la direction de Marie Morelle et de mon cher ami Jérôme Tadié, qui traite des “Pratiques de sécurité en ville”, illustrant ainsi des préoccupations vraiment originales dans la géographie française et en phase avec des initiatives similaires dans d’autres pays. Par exemple, peu de temps avant, un City Debates de l’Université Américaine de Beyrouth s’était tenu autour de cette thématique et avait d’ailleurs fait l’objet d’un étonnant produit éditorial (voir ici, ou là en arabe) – et il n’est pas impossible qu’un numéro de revue soit en préparation.

Cette évolution renvoie aussi sans doute à des transformations plus larges dans le champ de la géographie, qui s’écrit me semble-t-il de plus en plus sous la forme d’articles. On manque de données précises. Les actes de colloque et les livres collectifs me paraissent en recul, de même que les monographies, où les éditeurs ont visiblement laissé tomber, à quelques rares exceptions près comme Belin (mais il est difficile d’y être accepté, j’en ai fait l’expérience). Vivement le développement de presses universitaires mieux structurées et utilisant les possibilités de l’édition électronique (édition en ligne / impression à la demande, etc.) Cela dit, d’après les données collectées par le CNRS grâce à son outil RIBAC (Recueil d’Informations pour un oBservatoire des Activités des Chercheurs en SHS), les productions livresques constituent encore nettement la majorité des travaux des chercheurs de la section 39 (comme de la plupart de ceux des autres sections SHS). Mais je peux malgré tout me tromper sur la tendance.

En tout état de cause, ces revues ouvrent de nouveaux espaces de publication, qui suivent des processus d’évaluation, de sélection et de modification des travaux très différents de ceux des livres et qui conduisent aussi à une forme de normalisation. Paradoxalement, c’est contre une telle standardisation que Carnets de géographes se propose, dans son projet éditorial, d’innover sur le plan de l’écriture scientifique. Leurs différentes rubriques permettent incontestablement la coexistence de différents genres, parmi lesquels les comptes rendus de thèse (par leur auteurs) ne sont pas à négliger et remplissent une fonction très utile. Pour le reste, il est peut être un peu tôt pour discerner l’émergence de nouvelles pratiques.

Je terminerai sur une note critique à l’égard de JSSP : ses modalités d’édition électronique sont loin de correspondre aux “Cinq piliers de l’édition électronique” et aux critères du texte numérique idéal identifiés par Marin Dacos et Pierre Mounier dans leur livre de référence. La maquette de la revue est tout simplement épouvantable, complexe et difficile à naviguer. Surtout, les textes ne possèdent pas leur référence propre (url stable, DOI…). C’est certainement un problème majeur qui entrave le bon référencement des articles par les moteurs de recherche généralistes ou spécialisés, sans parler des maisons qui calculent les facteurs d’impact et autres indices bibliométriques, à la base des (ô combien contestables) classements de revues. Peut être une des raisons de la faible participation des collègues étrangers, qui doivent bien souvent rendre des comptes à leur hiérarchies sur la base de la présence des revues dans de tels classements – et qui à tout le moins s’attendent légitimement à ce que leur production en ligne soit visible. Dans la version html, la lecture ne peut se faire que sur une colonne étroite, avec les deux versions en côte-à-côte. On peut récupérer un fichier PDF au format A4 mal indexé et non du contenu lisible sur les liseuses qui se développent très rapidement aujourd’hui, notamment dans le public universitaire. L’existence des textes en deux langues pose certainement des questions délicates de référencement et d’attribution d’url mais il est dommage que l’équipe de cette revue n’aie pas pris exemple sur des revues qui pratiquent le bilingue sur Revues.org, comme la Revue de géographie Alpine. Espérons en tout cas qu’une adaptation du support électronique sera vite menée à bien pour donner à ce titre la visibilité et l’audience internationale que la belle et bonne géographie qui s’y écrit mérite.

PS : deux compléments au sujet de la pérennisation de ces revues (le 11 mars)

Je remarque tout d’abord que ni JSSP ni Carnets de géographes ne sont référencés dans le DOAJ (Directory of Open Access Journals). Vraiment dommage car la visibilité commence là.

D’autre part,si JSSP bénéficie apparemment d’un membre de la cellule d’appui à la recherche de l’Université Paris Ouest Nanterre pour le secrétariat de rédaction de la revue, Carnets de géographes s’est lancée comme une revue de doctorants, animé par une belle énergie et beaucoup d’enthousiasme. (Certain.e.s ont déjà obtenu des postes de titulaires). Cet appui institutionnel limité voire absent risque de devenir, à terme, passé le moment de l’enthousiasme fondateur, un obstacle à la pérennisation de ces projets éditoriaux. Le financement de l’édition électronique à un coût et divers modèles sont explorés aujourd’hui pour l’assurer (auteur-payeur, freemium, modèle de subvention publique pure, à quoi s’ajoute, dans bien des cas, le bénévolat des universitaires (ne serait-ce pas ici le cas pour les traductions vers l’anglais, par exemple)).

Quels soutiens institutionnels permettront d’assurer la pérennité de ces revues? Quelles solutions d’archivage et de référencement des contenus vont-être choisies par ces équipes? Ce sont là des questions qui déterminent leur avenir et aussi, leur présent car cette situation pourrait dissuader d’éventuels contributeurs d’y soumettre leurs textes.


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