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L’Equipex du CLEO et les perspectives de l’édition numérique : un regard lyonnais

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Un Equipex contre la fracture du territoire universitaire

Petit rebond sur l’annonce de l’Equipex attribué au CLEO et à ses partenaires. En tant que partenaire et utilisateur (auteur et surtout lecteur des contenus diffusés par le CLEO), je m’associe à leur joie et à leur satisfaction. Dans le contexte de l’évolution brutale et souvent contre-productive pour la collectivité universitaire que représentent les IDEX et LABEX et je suppose aussi, EQUIPEX (même si je ne connais pas d’autres cas), dont les coups de gueule de JFM ou d’Irnerius rendent bien compte, il faut saluer un projet qui me paraît aller à contre-courant.

Carte des partenaires d'OpenEdition en France

Au contraire de projets d’excellence qui risquent d’accroître la fracture entre universités et entre laboratoires, l’un des grands points positifs du projet OpenEdition est au contraire d’apporter à tous les universitaires français (et à terme, dans un certain nombre de pays partenaires) des outils fort utiles, mutualisés et permettant la mutualisation du savoir, grâce à l’Open Access. Le CLEO publie la liste des institutions associées et bénéficiaires du projet qui illustrent cette répartition très large sur le territoire, à l’encontre de la concentration absurde orchestré par le ministère de la RES. Un regard plus détaillé sur la carte montre certes quelques trous, notamment à Toulouse et à Strasbourg (tiens, deux IDEX justement – y a t il des projets en lien avec l’édition électronique dans leurs propositions?).

Numériser la collection des livres de l’Institut d’études rhodanienne

Parmi les projets annoncés par le CLEO, la numérisation de collections de livres scientifiques retient toute mon attention ainsi que celle de Géocarrefour. En effet, nous sommes les héritiers de l’Institut des études rhodaniennes, sous l’égide duquel ont été publiée la Revue de géographie de Lyon et avant elle, le Bulletin de géographie rhodanienne. Grâce à Persée et pour la fin de la collection, à Revues.org, ces quatre-vingt années de papier poussiéreux ont été numérisées et sont accessibles en ligne depuis 2008. Sauf le premier numéro de la revue, qui était en fait une monographie (la thèse d’Etat) de Maurice Pardé, grand hydrologue français. Il se trouve qu’elle avait été rééditée par Géocarrefour quelques années avant, ainsi que divers volumes d’annexes (et il s’en vend quelques exemplaires chaque année). Mais nous sommes également à la tête d’un vaste patrimoine de monographies éditée par l’IER, dont il reste une série d’exemplaires dans notre cave. Ils auraient bien plus d’usage et de visibilité s’ils étaient accessibles en ligne. Le projet de numérisation des livres universitaires constitue donc une excellente nouvelle et j’ai le plaisir d’annoncer notre intérêt direct pour ce projet.

Je m’interroge toutefois au sujet de Persée, dont l’activité a permis la sauvegarde et l’accès numérique à un patrimoine inestimable. Justement, notre prochain numéro de Géocarrefour, sous la responsabilité d’Isabelle Lefort, a exploité ce corpus pour une réflexion rétrospective sur les territoires des revues de géographie régionales. Persée avait justement annoncé se lancer également dans la numérisation d’ouvrages anciens. Sont-ils partenaires du CLEO sur cette affaire? Mais parler de Persée, c’est aborder le pataquès lyonnais de l’édition universitaire…

Le pataquès de l’édition universitaire à Lyon

Lyon-Saint Etienne (et Grenoble aussi d’ailleurs) font figure de grands perdants au concours de l’excellence… sauf que le ministère s’est souvenu, à la fin, que ce serait absurde de ne pas soutenir les forces de recherche présentes dans ces villes. Il est en train d’organiser une procédure de rattrapage parfaitement politique, même si l’on met en avant qu’en fait, le comité de sélection avait majoritairement constaté son excellence mais qu’il fallait une majorité qualifiée (qui avait fixé cette curieuse règle, et pour quelle raison?).

Parmi les projets de l’IDEX lyonno-stéphanois figurait apparemment en bonne place la création de Presses de l’Université de Lyon, devant regrouper les presses existantes (PUSE à St Etienne, ENS-Editions, PUL – Presses universitaires de Lyon, dépendant de Lyon 2, Maison de l’Orient et peut-être d’autres encore). Ce projet avait d’ailleurs été vigoureusement réclamé par l’AERES et diverses instances d’évaluation (voir le Rapport AERES 2010 sur Lyon 2, p.11). C’est que la situation de l’édition universitaire lyonnaise est marquée par les les projets avortés, les concurrences entre établissements, les reculs qui suivent les avancées, etc.

Trois presses d’universités et un éditeur spécialisé existent donc à Lyon. J’évoquerai brièvement leurs activités, notamment dans le domaine de l’édition numérique. Je n’en suis qu’un observateur curieux mais mal informé et guère introduit, malgré mon activité d’éditeur de Géocarrefour. Que les lecteurs mieux informés ou courroucés d’un contenu inexact n’hésitent pas à corriger ou compléter en commentaires. D’après le recensement de Denys Lamontagne, blogueur québécois, sur THOT CURSUS, le bilan du numérique universitaire en France (pour les livres) est ténu, et notamment à Lyon, même si des projets sont dans les starting-blocks.

Les PUL existent depuis 1976 et se consacrent à l’édition d’ouvrages SHS. Mais elles ont connu diverses vicissitudes depuis quelques années et un ralentissement notable de leur rythme de publication. Le nouveau directeur nommé en2009(?), Philippe-Jean Catinchi, chroniqueur renommé du Monde des Livres, a relancé trois nouvelles collections papier. A partir du site web, peu mis à jour, il est difficile de se faire une idée précise des nouveautés. Le précédent directeur, Jean Kempf, avait participé à la mise en place d’OAPEN, le projet européen d’édition universitaire numérique en libre-accès. De fait, quelques ouvrages épuisés et quelques autres très pointus font l’objet d’une diffusion numérique (format PDF). Mais depuis le changement de directeur, cette orientation qui figure toujours sur le site web n’a plus fait l’objet d’aucune actualité et je me demande si les PUL sont toujours véritablement partie prenante de ce projet (un des partenaires internationaux du CLEO pour son Equipex). Le site affiche également un partenariat privilégié avec Google Books pour la numérisation du fond mais le lien ne pointe vers rien de précis et un bref sondage ne permet pas d’identifier un quelconque début de numérisation. Mon impression est que le virage vers l’édition universitaire numérique a été suivi d’un freinage brutal même si officiellement, selon un membre dirigeant de l’équipe présidentielle à Lyon 2, c’est toujours d’actualité. En fait, personne n’y connaît rien et ne s’y intéresse, on laisse courir.

Une des grandes réalisations de Lyon 2 dans le domaine de l’édition numérique était Persée, porté par Claude JournèsGilbert Puech, ancien président de l’université. Persée me paraît une incontestable réussite malgré une interface web dont je n’aime pas l’apparence: 95 123 collections complètes, 50 en attente et un virage vers des collections d’ouvrages scientifiques (4 collections). Mais Persée a subi un rude coup lorsque Lyon 2 a voulu retirer son soutien au projet, jusqu’alors hébergé dans ses murs et soutenu par 5 postes. Dans le contexte du passage prochain aux RCE dans le cadre de la LRU, cet appui était jugé trop lourd pour une université mal dotée comme Lyon 2, qui estimait qu’un tel projet relevait d’un tâche d’intérêt national et donc d’un financement du ministère (ou du CNRS?) – voir ici. Si j’ai bien compris, c’est aujourd’hui l’ENS de Lyon qui va reprendre Persée (le site web indique cependant toujours Lyon 2 comme tutelle).[MàJ 20/3/2012 : voir ci-dessous le commentaire de Nathalie Fargier pour plus de précision sur les aspects institutionnels]

L’ENS de Lyon regroupe désormais la partie Sciences, la partie Lettres et l’Institut français de l’Education (IFE) (malgré une situation juridique transitoire d’inexistence , suite à l’annulation par le Conseil d’Etat de son décret de création). Ses presses, créées en 1993, ont récemment intégré celle de l’IFE. Elles mènent une politique dynamique, publiant des auteurs recrutés bien au-delà du cercle lyonnais. Si l’ENS est un acteur de l’édition numérique pour ses revues, en revanche rien de tel pour les livres. Le futur statut de Persée dans cet ensemble est inconnu. Cela dit, cette “annexion” montre la volonté de l’ENS de Lyon d’être un acteur majeur de l’édition numérique et rappelle l’expérience (malheureuse) du Centre d’édition numérique scientifique (CENS). Le CNRS et l’ENS-LSH avait alors voulu mettre en place un outil de numérisation des revues SHS qui avait fait un flop retentissant, montrant les limites d’un projet top-down qui ne prenait pas en compte les besoins et les volontés des acteurs de l’édition. Cet échec avait alors ouvert la porte à un soutien du CNRS à Revues.org (voir notamment ce texte de Delphine Cavallo de Revues.org qui y revient en présentant l’historique de la création du CLEO).

Cette situation et cet héritage conduisent à s’interroger sur les relations que vont entretenir Revues.org et l’ENS de Lyon. L’ENS de Lyon n’apparaît pas dans les partenaires de l’Equipex OpenEdition, alors même que plusieurs revues éditées par ENS Editions sont disponibles en ligne via Revues.org. A l’échelle lyonnaise, la montée en puissance d’ENS Editions semble perçue par les autres acteurs comme un nouveau signe de la position dominante de l’ENS dans le paysage lyonnais (le président du PRES de Lyon (dénommé Université de Lyon), Michel Lussault, est ainsi un professeur issu de l’ENS) et inspire donc crainte et méfiance.

Les Publications de l’Université de Saint-Etienne (qui dépendent de l’Université Jean Monnet mais ont vocation à publier des travaux des chercheurs issus des autres institutions universitaires stéphanoises) existent depuis 30 ans et affichent un important catalogue (600 ouvrages). En revanche, le site web n’indique aucun projet numérique.

Les Publications de la Maison de l’Orient Méditerranéen  (MOM) existent depuis 1975. Elles publient essentiellement dans le domaine de l’archéologie. Depuis quelques années, une politique de publication numérique a été mise en place, visant notamment à republier les épuisés. Ces ouvrages ont été récemment intégrés dans Persée, qui accueillera aussi désormais des ouvrages numériques natifs (colloques, ouvrages collectifs, etc.). On peut regretter que les actes de colloque (dont plusieurs furent marquants comme Reconstruire Beyrouth ou Les politiques urbaines dans le monde arabe) portant sur le contemporain n’aient pas fait l’objet d’une numérisation au contraire du fond archéologique. De même, le GREMMO, l’un des laboratoires de la MOM, s’est lancée à l’initiative de Jean-François Legrain dans une série de publications en ligne, sous la forme d’un site web remarquablement informé(notamment Les guide de recherche sur le web). Il n’est pas certain que ces ressources respectent les canons techniques de la publication en ligne mais sa valorisation et sa pérennisation devrait justement constituer un axe de la politique de publication de la MOM ce qui ne semble pas le cas au vu du site web de cette institution. Toutefois, à la différence des autres acteurs de l’édition universitaire lyonnaise, la MOM s’est le plus volontairement engagée dans une politique de publication numérique qu’il faut saluer et dont il faudrait tirer des enseignements pour les autres institutions locales.

Cette brève – et, j’espère, pas trop incorrecte – présentation de la situation lyonnaise en matière d’édition montre une situation de paralysie liée aux grandes manœuvres IDEX. La perspective d’une fusion des différents services de publication les hérissent. Les présidents voient cela comme un enjeu mineur et n’ont probablement qu’une vision très floue des questions posées. Pour ma part, je n’ai pas religion sur la question d’une fusion. La réussite apparente des Presses universitaires de Rennes est un modèle tentant mais je ne connais pas cette expérience de l’intérieur et ses éventuels défauts. Par ailleurs, je comprends bien les problèmes qu’une telle fusion risque de poser : déménagement en série, reclassements de personnel, perte locale de compétences et de synergies avec des équipes de recherche (par ex. à la MOM), tout cela au nom de présumées économies d’échelles.

Perspectives et surtout enjeux

Dans ma position d’observateur, et alors que les nouvelles équipes présidentielles sont en cours d’élection, je vois une pluralité d’enjeux. Je pense que l’édition électronique est l’avenir de l’édition universitaire même si, sur tout une série d’usages, le papier n’est pas près d’être remplacé. On commence à maîtriser l’édition électronique des revues même si la question du financement n’est pas résolue. Le livre constitue le prochain grand chantier. Avec Persée et la rétro-numérisation, Lyon a joué un rôle important. Il faut continuer. En revanche, sur l’édition des livres d’aujourd’hui, on perçoit beaucoup d’hésitations. Or, il faut réaffirmer le rôle majeur du livre dans les SHS, par rapport à l’article. Les universités ne doivent pas refuser cette responsabilité de la promotion du livre universitaire en arguant qu’il s’agit d’une question nationale. Et elles ne doivent pas attendre les injonctions ou les incitations de l’Etat pour définir leur politique, comme avec l’IDEX car la question de l’édition sera toujours la dernière roue du carrosse ou alors ce seront les éditeurs privés qui viendront pour se garantir un marché comme le montre les manœuvres sur le taux unifié de TVA ou le scandale des droits d’auteur pour les épuisés et les orphelins.

Un certain nombre d’orientations sont assez évidentes et sont déjà adoptés par certains acteurs, comme l’IFPO : lancement de collections électroniques, nouvelles pratiques tarifaires et de distribution articulant accès libre (avec barrière mobile?), impression à la demande et présence dans les librairies numériques, ainsi que des partenariats avec les bibliothèques (voir la présentation récente de T. Buquet). Un rôle majeur des presses universitaires (unifiées ou pas) devrait être la sensibilisation et la formation des universitaires eux-mêmes à la nécessité et aux modalités de l’édition numérique des livres. Avec les IPad, les liseuses, etc. dont les universitaires seront surement parmi les premiers consommateurs, nous entrons dans une période où les universitaires vont enfin expérimenter concrètement ce qu’est une livre numérique, les limites du PDF en A4, les enjeux des métadonnées pour le référencement des ouvrages, etc. Il faut aider les auteurs à briser la fascination pour le papier comme seul moyen noble d’édition, leur fournir des outils d’écriture adaptés et surtout les codes. Le travail de sensibilisation mené par le Cléo depuis plusieurs années autour de Lodel, d’Hypothèses, avec les universités d’été, aujourd’hui relayé par des institutions comme les URFIST ou les MSH, montre la direction à suivre et les presses universitaires doivent y prendre leur rôle. Certaines le font déjà (Rennes, Caen, me semblent-ils).

Il faut aussi aider les universitaires à sortir des ornières creusées par l’Harmattan et autres professionnels des subventions de l’édition universitaire. Mais aussi du mirage des “grands” éditeurs. Il y a quelques années, Marin Dacos mettait en avant l’aura auprès des universitaires d’un éditeur tel que Gallimard, en raison de la diffusion qu’il permet et plus encore par l’onction symbolique que cela constitue. Cela alors même que ces éditeurs ne pratiquent aucunement l’évaluation par les pairs et conditionnent leur politique de publication aux critères du marché. La politique de ces différents éditeurs sur l’édition électronique est également consternante, en termes de référencement (le scandale de l’Harmathèque), de prix (pour des PDF pourris), de rémunération des auteurs alignée sur le modèle du papier voire nulle. Quant aux “grands”, on attend encore…

Pour aider à ce changement de regard, les presses universitaires devraient adopter des pratiques vertueuses et efficaces sur la diffusion mais aussi avoir des politiques claires et respectueuses en matière de rémunération des auteurs, pour la part qui sera dans le marché. Cet élément symbolique n’est pas à négliger, j’en avais parlé ici. Il constitue non seulement un droit défini par le code de la propriété intellectuelle (trop souvent bafoué) mais aussi un élément de reconnaissance très fort pour de nombreux universitaires, qui joue dans le choix d’aller vers les éditeurs ayant pignon sur rue. On pourra m’objecter que cette position est rétrograde et contraire à la politique de l’OpenAccess. Je pense que pour le moment, l’Openaccess va coexister avec l’exploitation économique des œuvres (dont il faudrait surement restreindre la durée). Il y a des œuvres qui ont un potentiel économique, les presses universitaires ne devraient pas s’en priver mais en y associant leurs collaborateurs les plus directs, les auteurs.

Pour conclure ce trop long billet, je souhaite que les logiques de concurrence dans le champ universitaire ne parasitent pas l’avenir de l’édition électronique. Dans un site comme Lyon, il est indispensable qu’une telle offre se mette en place rapidement, si possible en articulation avec le Cléo même si les acteurs locaux ont bien sûr des compétences et des légitimités à faire valoir. Une telle politique ne doit pas être seulement une politique de transformation de la production et de la diffusion, en bout de chaîne de l’écriture des livres : elle doit accompagner les auteurs, leur faire prendre conscience des enjeux, leur fournir les outils et les réflexes intellectuels pour qu’ils maîtrisent le destin éditorial de leurs livres et s’impliquent ensuite dans la diffusion. En somme, l’édition universitaire, papier et numérique, se doit de construire un véritable partenariat avec ses futurs auteurs!


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